Une publication dans Biological Journal of the Linnean Society

Pacus herbivore Vs Piranhas carnivore : qui mord le plus fort ?



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Alessia Huby, doctorante et aspirante FNRS au Laboratoire de Morphologie fonctionnelle et évolutive s’est penchée sur la force de morsure des Serrasalmidae, une famille de poissons à dents dont font partie les pacus et les piranhas. Cette étude récente publiée dans le Biological Journal of the Linnean Society (1) démontre que leur capacité de morsure est directement liée à l’évolution de leur système de mâchoires, elle-même liée à l’évolution de leur régime alimentaire.

L

es serrasalmidés (connus notamment avec les pacus et les piranhas) sont des poissons atypiques parmi leurs congénères d’eau douce rencontrés en Amérique du Sud. Ils utilisent en effet exclusivement la morsure pour se nourrir de différents types de proies animales et/ou végétales (poissons, autres vertébrés, nageoires, écailles, crustacés, mollusques, insectes, plantes, fleurs, fruits, graines, algues) lorsque la majorité des poissons des autres familles se nourrissent par aspiration buccale. Les serrasalmidés seraient initialement tous herbivores avec certaines spécialisations comme comme des pacus capables d’écraser de grosses graines/noix. Certaines espèces se sont ensuite tournées vers la carnivorie comme les piranhas, réputés pour leur aptitude à découper des morceaux de chair.

Système machoires piranhas pacus

Avant la recherche menée par des chercheurs du Laboratoire de Morphologie Fonctionnelle et Evolutive (Faculté des Sciences / Unité de Recherche FOCUS), il était notoire que le piranha noir Serrasalmus rhombeus détenait le record de force de morsure relative parmi toutes les espèces actuelles de vertébrés. Les capacités de morsure des poissons serrasalmidés herbivores (par exemple, les pacus) quant à elles n’avaient jamais été mesurées et comparées à celles des piranhas carnivores. « Nous avons ainsi émis l’hypothèse que les espèces herbivores qui se nourrissent de graines dures et/ou noix doivent avoir des forces de morsure plus grandes, des muscles adducteurs de la mandibule plus développés et des mâchoires plus robustes que les espèces carnivores qui se nourrissent de chair tendre, explique Alessia Huby, doctorante au laboratoire et première auteure de l’article publié dans Biological Journal of the Linnean Society."

« Pour tester notre hypothèse, reprend Eric Parmentier, directeur du labo, nous avons enregistré des forces de morsure de manière empirique (in-vivo avec un capteur de force placé entre les mâchoires du poisson qui mord volontairement) et théorique (à partir de dissections du muscle des mâchoires) chez différentes espèces de poissons serrasalmidés. Nous avons aussi évalué et comparé différentes propriétés morphologiques et fonctionnelles du système de mâchoires chez ces mêmes espèces, comme la taille du muscle adducteur de la mandibule, la forme des mâchoires, le type de fermeture de bouche, etc. ». Outre l’aspect fondamental de la recherche, l’idée sous-jacente est en plus de déterminer si la stratégie de morsure, et donc de découpe, des poissons peut inspirer différentes applications d’ordre mécanique.

Les résultats de cette nouvelle recherche démontrent que contrairement aux hypothèses initiales, les piranhas carnivores mordent relativement plus forts que les pacus herbivores, et ce principalement grâce à la taille supérieure du muscle adducteur de la mandibule et la forme de leur mâchoire inférieure qui, plus allongée, leur offre un meilleur système de levier. Les piranhas carnivores conservent donc leur statut de champion de force de morsure, toute proportion gardée. De plus, un joli parallélisme peut-être réalisé avec les mammifères. Chez les piranhas carnivores, les mâchoires fonctionnent comme des ciseaux et donc favorisent la découpe car toutes les dents ne pénètrent pas la proie simultanément. C’est aussi le cas des mammifères carnivores (loups, otaries, félins, etc.). Par contre, chez les herbivores (pacus), les mâchoires sont organisées de manière à fonctionner comme une meule. L’occlusion des dents est simultanée ce qui favorise l’écrasement. C’est aussi le cas chez les mammifères herbivores comme la vache ou le cheval.

Les résultats obtenus par les chercheurs de l’ULiège, du MNHN, de l’UGent, de HYDRECO Guyane et de l’UFMG, sont également utilisés dans un contexte de biologie évolutive pour comprendre l’histoire du groupe et principalement comment il lui a été possible de passer d’un régime herbivore à un régime carnivore. « Nous avons mis en évidence qu’en plus de leur différente dentition (dents tranchantes pour les piranhas vs. dents incisiformes à molariformes pour les pacus), explique Alessia Huby, le changement de régime alimentaire chez ce groupe de poissons peut s’expliquer par un changement de la taille des muscles adducteurs et de la forme des mâchoires. » Une des espèces (Pygopristis denticulata) est par ailleurs intéressante car elle marque le pivot entre les deux régimes alimentaires, en ayant des caractères de chaque guilde. Curieusement, le changement de régime correspond à une autre modification importante : c’est en devenant carnivore que les Serrasalmidae ont développé leurs capacités à produire des sons. Quelques travaux restent à réaliser pour faire le lien entre ces deux types de comportement.

Référence scientifique

Functional diversity in biters: the evolutionary morphology of the oral jaw system in pacus, piranhas and relatives (Teleostei: Serrasalmidae)

Alessia Huby1, Aurélien Lowie1,3, Anthony Herrel2,3, Régis Vigouroux4, Bruno Frédérich1,  Xavier Raick1, Gregorio Kurchevski5, Alexandre Lima Godinho5 and Eric Parmentier1

1Laboratory of Functional and Evolutionary Morphology, University of Liège, Liège, Belgium

2UMR7179 MNHN/CNRS, National Museum of Natural History, Paris, France

3Evolutionary Morphology of Vertebrates, Ghent University, Gent, Belgium

4HYDRECO GUYANE, Laboratory Environment of Petit Saut, Kourou, French Guiana

5Fish Passage Center, Federal University of Minas Gerais, Belo Horizonte, Brazil

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