Une publication dans PLoS ONE

Le Caïman Noir est opportuniste



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Trois expéditions scientifiques menées par une équipe internationale de chercheurs et auxquelles ont participé Nicolas STURARO et Gilles LEPOINT (Unité de recherches FOCUS / Faculté des Sciences) permettent d’en savoir un peu plus sur le comportement et les habitudes du plus gros prédateur du bassin de l’Amazone, pourtant reconnu comme espèce en danger il y a encore quelques années mais qui tend aujourd’hui à se stabiliser . Les données collectées par les chercheurs ont fait l’objet d’une publication dans le journal scientifique PLoS ONE (1).

L

e caïman noir (Melanosuchus niger), dont la taille peut atteindre 5 mètres et le poids une tonne, est l'un des plus grands crocodiles de la planète et l’un des plus gros prédateurs du bassin de l’Amazone. Autrefois très répandu dans cette région, le camain noir a perdu au cours du 20e siècle plus de 80% de sa population du fait de sa chasse intensive et de la  destruction de son habitat. Malgré le fait qu’il soit protégé par l’Union Mondiale pour la Nature qui l’a classé comme espèce en danger, le statut de certaines populations reste encore mal évalué et la survie du  caïman noir reste encore fort dépendante des efforts de conservations.

En Guyane française, les marais de Kaw – une réserve  naturelle couvrant près de 100 000 ha - constitue une zone humide d'importance écologique pour l'extraordinaire biodiversité qu'il renferme, dont de nombreux individus de  caïman noirs. Une aubaine en quelques sorte pour une équipe de scientifiques qui souhaitait en savoir plus sur l’animal dont au fond, on connaissait que peu de chose dans ce pays. L’équipe de recherche, emmenée par Stéphane Caut, chercheur au CSIC (Conseil Supérieur de la Recherche Scientifique en Espagne) et qui a effectué un post-doctorat à l’ULiège, a pu bénéficier d’une plateforme flottante placée dans les marais, et uniquement accessible en hélicoptère pour procéder à une série d’observations et de relevés.

Plateforme Caiman ©Stephane Caut:MANTIX 

« Cet habitat reculé et accessible pour l’homme uniquement par hélicoptère a permis de protéger l’espèce des perturbations humaines dans cette région, explique Nicolas Sturaro,  chercheur au sein du laboratoire d’océanologie de l’ULiège. La plate-forme scientifique flottante (6 x 4 mètres), a été construite en 2001 dans la Mare Agami au coeur de ce marais. Etant donné les difficultés inhérentes à l’étude de cette espèce, nos connaissances sur son environnement, ses exigences écologiques et son rôle dans la structuration du réseau trophique, sont restées très fragmentaires. »

Les trois expéditions menées de 2013 à 2015 -  à des saisons présentant des conditions hydrologiques et écologiques différentes - ont permis d’en savoir un peu plus sur l’écologie alimentaire et les mouvements du caïman noir dans la Mare Agami grâce à l’utilisation de différentes approches comme les observations comportementales, l’analyse des isotopes stables, le marquage ou encore la télémétrie, qui ont permis de caractériser l’état de cette population, les variations intra et interannuelles des mouvements des individus et les habitudes alimentaires de cette espèce.

Au total ce sont 76 caïmans qui ont pu être capturés par une méthode classique "du lasso" pendant la nuit et marqués. Différents prélèvements ont été réalisés sur les individus : une biopsie des tissus sous-cutanés au niveau de la queue, des prélèvements sanguins effectués au niveau de la queue ou du sinus crânien, l’implantation d’une puce électronique en sous cutané au niveau de la base de la queue, des mesures biométriques (taille, poids). « Des balises Argos ont également été posées sur certains individus afin de suivre leurs déplacements , reprend Nicolas Sturaro. De plus nous avons prélévé des échantillons de jour sur les espèces les plus communes et denses de l’écosystème (poissons, oiseaux, crustacés, amphibiens, plancton, insectes et végétaux) afin de pouvoir étudier le réseau trophique et établir le régime alimentaire du caïman ».

Premières conclusions

Les chercheurs ont déjà pu tirer quelques conclusions des données acquises sur site. La première étant que les conditions environnementales ont une forte influence sur le régime du caïman et plus particulièrement la variation saisonnière des conditions qui influence la disponibilité des proies. Lors de la saison sèche, le caïman se nourrit essentiellement de poissons, le marais étant le rare endroit à contenir de l’eau. Par contre en période de pluies, au moment de la reproduction des oiseaux migrateurs, le caïman se tournerait plus tôt vers les oiseaux et les oisillons tombés du nid. Ce qui amène les chercheurs à conclure que le caïman noir est finalement un prédateur opportuniste. Les chercheurs ont également pu observer une différence au niveau de l’utilisation des ressources alimentaires en fonction de la taille des individus.  « Au cours du développement, un shift alimentaire se produit, passant de petites proies d’invertébrés aux vertébrés, explique Nicolas Sturaro. Cela permettrait probablement de réduire la compétition intraspécifique entre les jeunes et les adultes. » D’autres données comme celles récoltées par la télémétrie et les marquages montrent que les déplacements diffèrent en fonction de l’âge, de la période de l’année et des individus. Les données révèlent l’existence de différents types comportements ; certains individus sont très nomades alors que d’autres sont très  attachés au marais.  

Les nouvelles informations réunies par l’équipe de chercheurs devraient permettre de mieux prédire les réponses de cette espèce aux perturbations potentielles des écosystèmes (par exemple la pollution de l’eau et la destruction de l’habitat), élément essentiel de l’élaboration d’un plan de gestion efficace pour leur conservation.


Cette recherche a été financée par le Conseil Supérieur de la Recherche Scientifique (CSIC) et la Station biologique de Doñana; le Parc zoologique de Paris; le Fonds de Dotation pour la Biodiversité et la compagnie privée Lacoste; la National Geographic Society/Waitt Grants Program (#W269-13); et La Ferme aux Crocodiles. Les analyses isotopiques ont été réalisées sur la plateforme EA-IRMS du Laboratoire  

PHOTOS : Stephane Caut / MANTIX

Référence scientifique

Caut S, Francois V, Bacques M, Guiral D, Lemaire J, Lepoint G, Marquis O, Sturaro N (2019) The dark side of the black caiman: Shedding light on species dietary ecology and movement in Agami Pond, French Guiana. PLoS ONE 14 (6): e0217239

Contacts

Nicolas STURAROEmail

Gilles LEPOINT

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