Une publication dans Ecological Monographs

Déclin majeur des amphibiens, même dans des régions propices à leur conservation



Une étude lancée au Monténégro par Mathieu Denoël et Benjamin Lejeune, chercheurs au sein de l’Unité de Recherches FOCUS (Faculté des Sciences) de l’Université de Liège lance un cri d’alarme sur la situation catastrophique à laquelle font face les amphibiens et ce, même dans des paysages qui pourraient sembler propices à leur conservation. Les résultats ont été publiés dans le journal Ecological Monographs.

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lors que les paysages naturels sont supposés être des environnements favorables à la persistance de la biodiversité, assurant la protection et la survie des espèces, fort est de constater qu’aux quatre coins du globe, les rapports de déclin et d’extinction de populations et d’espèces ne cessent de s’accumuler. La fragmentation et la destruction d’habitats, la modification du paysage, le changement climatique et l’introduction d’espèces exotiques, sont autant de facteurs liés à l’activité humaine qui engendrent peu à peu le déclin de telles populations.

C’est dans le cadre d’une étude* de suivi de populations-clés d’amphibiens menée au Monténégro - un pays de la région des Balkans caractérisé par une vaste étendue d’espaces sauvages et gérés traditionnellement - que Mathieu Denoël, Directeur de Recherches FRS-FNRS et Benjamin Lejeune, tous deux membres de l’Unité de Recherches FOCUS (Faculté des Sciences) de l’ULiège, n’ont pu faire qu’un triste constat concernant ces populations et ainsi quantifier et expliquer les causes de ce déclin.

Cet environnement s’avérait en effet des plus favorables à plusieurs espèces d’amphibiens comme le montrent d’anciennes observations. Fait particulièrement remarquable, cette région était considérée comme un hotspot de diversité pour un processus de différentiation étonnant : la présence de nombreuses populations de tritons pédomorphiques, capables de se passer de la métamorphose si caractéristique chez la plupart des amphibiens et qui sont ainsi aptes à la reproduction tout en gardant les branchies larvaires. Les chercheurs liégeois ont pu se reposer sur la connaissance et le suivi de ces populations durant de nombreuses décennies par les chercheurs locaux, dont des chercheurs de l’Université de Belgrade qui ont collaborés à cette nouvelle étude. Des expertises complémentaires amenées suite à diverses collaborations internationale ont permis l’étude de l’impact de différents facteurs environnementaux sur les populations d’amphibiens à l’échelle du pays et ce, sur un laps de temps de près de 70 ans.

DENOEL Fig Tritons 
Tritons alpestres (a) et grecs (b) pédomorphiques, c’est-à-dire conservant des caractéristiques larvaires à l’état adulte (Ecol. Monogr. 2019: e01347).

Les résultats de cette étude, publiés dans Ecological Monographs, sont manifestes et catastrophiques. Les chercheurs ont évalué un déclin majeur des populations, avec une perte de 78% du phénotype le plus rare (pédomorphique) et de 48% des populations du phénotype le plus commun. « En termes de superficie aquatique, cela signifie une diminution, en près de 70 ans, de plus de 99% de l’habitat occupé, explique Mathieu Denoël. Ce sont en effet les populations les plus particulières, endémiques des lacs d’altitude, qui ont notamment périclités. » Sur base d’analyses multivariées,  les chercheurs ont identifié un déterminant majeur qui explique ce déclin : l’introduction de poissons allochtones dans les points d’eau (lacs ou mares). « Jusqu’à six espèces ont été introduites dans les mêmes habitats, menant rapidement au déclin des espèces natives tandis que la plupart des autres facteurs environnementaux n’avaient pas d’influences majeures dans ce cas de figure. »

Les chercheurs sont donc vite arrivés à une conclusion sans appel. Si la préservation des paysages terrestres est essentielle à la conservation des amphibiens  – car c’est ce qui permet le maintien d’une riche diversité – il ne faut pas oublier l’importance de préserver les habitats aquatiques dans lesquels de simples gestes, qui peuvent sembler anodins ou anecdotiques tel que l’introduction de poissons, peuvent mener à une perte de diversité globale.

Ce problème identifié au Monténégro en est un exemple alors que le pays est encore relativement épargné par d’autres menaces anthropiques et où la préservation de ces habitats traditionnels ou naturels a très certainement freiné l’influence d’autres changements globaux. Dans des environnements davantage perturbés par l’abandon des mares, l’urbanisation croissante, le changement des pratiques agricoles ou face au changement climatique, le devenir de nombres d’amphibiens est de plus en plus incertain. Les analyses multi-factorielles et à long-terme dans ces environnements anthropisés demeurent malheureusement rares afin d’identifier l’ensemble des déterminants de perte de la biodiversité. 

*Cette recherche a été financée par le Fonds de la Recherche scientifique, l’Université de Liège (notamment au travers des Fonds Spéciaux de la Recherche), le Ministère de l’Education, de la Science et du Développement technologique de la République de Serbie et par le Fonds pour la Formation à la Recherche dans l'Industrie et dans l'Agriculture (FRIA).

Référence scientifique

Denoël, M., Ficetola, G.F., Sillero, N., Džukić, G., Kalezić, M.L., Vukov, T., Muhovic, I., Ikovic, V., Lejeune, B., 2019. Traditionally managed landscapes do not prevent amphibian decline and the extinction of paedomorphosis. Ecological Monographs 89, e01347.

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Mathieu DENOËL

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