Une publication dans Philosophical Transactions B

Oui, les dinosaures ont aussi souffert de cancers



Illustration du Spinophorosaurus dessiné par Joshua Knüppe.

L’origine des cancers, tumeurs et infections osseux remonte loin dans l’histoire évolutive des vertébrés et ont affecté un large éventail d’organismes. Une équipe de chercheurs de l’ULiège et de la VUB vient de renforcer l’idée que les sauropodes, les plus grands dinosaures ayant vécu sur Terre et au long cou caractéristique, étaient enclins à développer des maladies osseuses telles que des cancers. Cette recherche fait l’objet d’une publication dans le journal scientifique Philosophical Transactions B.

L

e cancer et autres conditions tumorales et infectieuses ne sont pas des pathologies récentes. C’est ce que vient de conclure une étude menée par Benjamin Jentgen-Ceschino, doctorant FRIA/FRS-FNRS à l’EDDyLab (Unité de recherches Geology) de l’Université de Liège, en collaboration avec des chercheurs de l’AMGC (Département de Chimie) de la Vrije Universiteit Brussel (VUB) et qui s’ajoute à des données existantes de paléopathologies osseuses, notamment chez les dinosaures. L’équipe de recherche a étudié des échantillons d’os de sauropodes, regroupant les dinosaures les plus longs et lourds, qui ont été récoltés par le Dr Koen Stein, paléontologue à la VUB et co-auteur de l’étude, lors d’une précédente recherche. "Lorsque j'ai prélevé ces os de dinosaures en 2008 pour ma propre recherche doctorale sur la croissance osseuse chez les sauropodes, j'ai remarqué qu’ils présentaient des tissus osseux aberrants, mais je n'ai jamais eu le temps de les décrire et de les analyser en détail. C’est grâce au travail minutieux de Benjamin, qui a analysé des dizaines de cas médicaux et vétérinaires, que l'équipe a réussi à restreindre la liste des causes potentielles de ces maladies".

Les chercheurs ont donc pu compter sur des échantillons de tissus osseux d’individus issus d’espèces de sauropodes primitifs, à savoir Spinophorosaurus nigerensis et cf. Isanosaurus, qui ont chacun révélé des profils de développements de ce qui, selon toute probabilité, est l'expression d'un cancer, d’une tumeur ou d’un virus. « Nous avons trouvé différents types d’affections, explique Benjamin Jentgen-Ceschino, premier auteur de la publication. Dans un échantillon d'os de cf. Isanosaurus du Jurassique inférieur (il y a environ 200 millions d'années) provenant de Thaïlande, nous n’avons pas observé de croissance de l'animal au-delà du développement de fines spicules sur la surface externe de l'os, ce qui signifie que l'animal est mort peu de temps après ». Ces spicules – du tissu osseux à la forme d’épines au développement perpendiculaire anormal à la surface externe de l’os –  sont typiquement associées à des tumeurs osseuses malignes et correspondent donc à l'hypothèse du développement d'un cancer osseux malin chez cet individu. 

Dans un échantillon de tissu osseux du dinosaure Spinophorosaurus, trouvé dans des roches jurassiques du Niger, les chercheurs ont également décelé une production de spicules osseuses anormales similaires à celles décelées chez cf. Isanosaurus. Mais cette fois, contrairement à son congénère, l’animal aurait survécu à  la maladie et continué à grandir et à produire du tissu osseux normal par la suite.  « Il peut s'agir d'une réaction à une tumeur bénigne ou d'une infection virale, mais le reste du squelette de cet individu précis présente aussi plusieurs autres pathologies, ce qui indique que le spécimen de Spinophorosaurus étudié ici a souffert plusieurs fois de différents types de traumatismes au cours de sa vie », reprend Benjamin Jentgen-Ceschino.

JENTGEN Cancer Dino 

(a) Vue générale du cortex externe en section transverse montrant le SPRB au-dessus d’un cortex FLC « normal » (CH8-66b). (a’) Zoom (voir cadre sur la photo (a) pour sa localisation) sur les spicules osseux du SPRB. (b) Vue générale du cortex externe en section longitudinale, montrant le SPRB au-dessus d’un cortex FLC « normal » (CH8-66c). (b’) Zoom (voir cadre sur la photo (b) pour sa localisation) sur les spicules osseux du SPRB. Observez la fine couche d’os distincte au-dessus du SPRB avec des lacunae d’osteocytes allongées. Les flèches noires pointent vers de forts développements ostéocytiques (lacunae d’ostéocytes grosses et denses obscurcissant l’os environnant). La flèche blanche pointe vers un ostéon secondaire. Barres d’échelles : (a-b) 2,0 mm ; (a’-b’) 0,5 mm.
 

Cette étude, qui démontre que des pathologies osseuses telles que des cancers ou infections osseux sont des conditions qui existent et se propagent à un large éventail d’organismes depuis des centaines de millions d’années. Elle est importante car les traces fossiles de l'apparition des cancers osseux sont rares. « Cette étude montre également que de nombreuses pathologies fossiles sont probablement passées inaperçues jusqu'à présent, conclut Valentin Fischer, directeur de l’EDDyLab. Les deux dinosaures que nous avons échantillonnés ne présentaient aucun signes externes clairs qui auraient pu présager de l’existence de la maladie puisque les tissus pathologiques étaient en fait cachés dans l'os.»

D’autres études de ce type pourraient peut-être révéler l’apparition d’autres maladies osseuses plus tôt qu’on ne le pensait, et participer à l’enrichissement d’un catalogue des pathologies préservées dans les tissus osseux fossiles. Il est certain que nombre de pathologies discrètes resteront invisibles, voire inconnues tant qu’on ne les aura pas passées sous le microscope, volontairement ou par accident.

Référence Scientifique

Jentgen-Ceschino B., Stein K., Fischer V., Case study of radial fibrolamellar bone tissues in the outer cortex of basal sauropods, Philosophical Transactions B, 13 January 2020.

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