in memoriam

Hommage au Professeur Michel Chardon



Dans votre cursus, il est des gens qui vous marquent à vie, il est des gens qui maîtrisent leur sujet, il est des gens qui ont le don de poser les bonnes questions, il est des gens qui ont l’art de vous pousser dans vos retranchements, il est des gens dont le nom s’impose quand vous pensez zoologie, ce nom pour beaucoup d’anciens étudiants c’est Michel Chardon.

Michel Chardon, né en 1935 à Charleroi, a commencé sa carrière au sein de l’Université de Liège en tant qu’assistant en 1957. Il débute alors une thèse de doctorat à Tervuren, sous la direction de Max Pol. En parallèle du travail de thèse, il est chargé en cette période du cours de complément de zoologie et de la partie scientifique du démarrage du futur Aquarium Dubuisson. Il défend en 1967 une thèse, à laquelle on fait toujours référence aujourd’hui, portant sur l’anatomie de l’appareil de Weber chez les Siluriformes (lire : sur les osselets de l’oreille des poissons-chats, oui les poissons ont des oreilles !). Il débute sa carrière académique par un poste de premier assistant avant de passer très vite chargé de cours, puis professeur. Fondateur du seul laboratoire de Morphologie Fonctionnelle de la région francophone du pays, ses travaux de recherche ont principalement porté sur les mouvements liés à la prise de nourriture chez les lézards et sur des questions variées d’anatomie chez les poissons, en gardant à travers les ans un penchant marqué pour l’étude des poissons-chats ainsi qu’un goût immodéré pour les questions liées à l’évolution. Ces études lui ont permis de nouer de profondes amitiés dispersées aux quatre coins de la planète.

Difficile d’évoquer son nom au passé tant il est présent dans l’univers de nombreux biologistes qu’ils soient liégeois ou pas. Pour beaucoup, Michel a été le professeur qui ouvrait le cursus des études en biologie. Ceux-là n’ont pu oublier l’homme féru de contrepèteries qui a volontiers donné de son corps pour expliquer avec force de contorsions (lire : mouvements organisés en fonction de patrons moteurs précis), couché sur la chaire ou pas, le déplacement du lombric, la nage du requin, le vol des oiseaux, la marche du crocodile, la brachiation du singe…Appelant chaque spectateur (lire : étudiant attentif et avide de savoir) à pousser des « oufti » béats. Michel est ce professeur qui dans le même cours pouvait expliquer comment imaginer une coupe transversale dans une patte de fourmi et l’instant d’après tenir un discours sur les adaptations au saut chez la grenouille. Une fois la théorie décrite, et sous le regard aiguisé de Claire Balthazart, il s’emparait d’une pince à dissection pour vous montrer le trajet du nerf vague chez la roussette ou mettre en évidence les différents muscles liés au vol chez le pigeon. Cette approche morphologique de l’animal a été, pour tous les biologistes liégeois, complètement neuve et révélatrice par rapport aux cours classiques du secondaire. Michel pouvait ainsi utiliser la morphologie pour vous expliquer que le corps qui est le vôtre est ainsi fait parce qu’il répond à un certain nombre de contraintes environnementales, et que de ce point de vue-là au moins, vous n’êtes pas trop mal foutu (sic). Le discours étant généralement accompagné d’un regard amusé si vous manifestiez un quelconque hoquètement.

Michel Chardon est aussi un des maîtres fondateurs du stage de biologie sur les côtes bretonnes. Pendant 40 ans, il a retourné des cailloux, creusé des trous, retourné de la vase ou fouillé des algues pour mettre en avant la diversité des organismes marins vivant sur l’estran. C’est en suivant ce naturaliste sur le terrain que de nombreux biologistes en herbe ont pour la première fois, apprécié de visu et sous loupe binoculaire, tout un monde qu’ils ne connaissaient que par l’intermédiaire de schémas ou d’images dans des bouquins. Non content de partager sa profonde connaissance de la biologie animale, il organisait ce stage de manière à faire déguster à tous les produits des récoltes de la pêche. Ces agapes étaient aussi l’occasion de savourer sa maîtrise d’un chansonnier estudiantin bien connu et de répondre à nouveau par son regard amusé si vous manifestiez, encore, un quelconque hoquètement. Cette passion pour l’enseignement le poursuivra au-delà de sa carrière académique en consacrant de son temps à l’Université des aînés, à différentes écoles des devoirs et à l’encadrement de randonnées sous l’égide d’Aves.
Michel est l’homme qui m’a fait trembler à un examen mais qui 20 ans plus tard s’est exécuté fissa (et apeuré) lorsque ma fille, du haut de ses deux ans, lui a demandé de se dégager de son chemin… Amusé par ma réaction (bien que je savourais la vengeance), il a souligné cette mise en perspective de la représentation différenciée de l’être. Comme se plaît à le rappeler son dernier doctorant, Rui Diogo, il fut un humaniste convaincu. Nous tâcherons, Michel, de garder cet esprit de la zoologie bien présent chez nos étudiants. Je garderai un regard amusé pour les quelconques hoquètements que je réussirais à provoquer.

Eric Parmentier

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