Rencontre avec Antoine Legrand, Master en Sciences géographiques, orientation générale à finalité spécialisée en développement territorial et géomatique (2015) et Master en urbanisme et aménagement (KULeuven). Curieux et perséverant, il travaille actuellement en tant qu' Attaché à l’Observatoire du Foncier agricole.

paysage ALegrand-1280jpg 

Formation

Pourquoi avez-vous choisi d'étudier cette matière à la Faculté des Sciences de l’Université de Liège ?  Pourquoi avez-vous décidé de suivre ce master ?

Ma décision d’étudier la Géographie s’est faite relativement tard, au terme de mes études secondaires, en 2010. J’avais toujours été un élève curieux, avec des résultats corrects dans chaque discipline, mais après la rhéto, j’avais surtout le sentiment qu’il était judicieux de valoriser mes acquis en mathématiques et en sciences et d’étudier dans une filière scientifique. Cependant, n’ayant pas de préférence pour une science dure « classique », et étant aussi intéressé par l’actualité et les phénomènes « de société » (avec en plus une certaine fascination pour les cartes, il faut l’avouer), la géographie s’est présentée comme un parcours qui répondrait à mes attentes.

Plus tard, après un bachelier encourageant, le choix du master s’est fait assez facilement : ce fut l’orientation « développement territorial et géomatique ». Ce programme correspondait aux aspects du bachelier que j’avais préféré étudier. Je me suis donc un peu éloigné des sciences naturelles pour toucher davantage à des sciences appliquées et un peu à l’économie, mais surtout à l’aménagement du territoire. Ce master m’a surtout appris à quel point l’aménagement est un levier d’action crucial dans la transition vers la durabilité.

Une fois mon diplôme en poche, j’ai décidé de poursuivre dans l’esprit de l’aménagement et de compléter mon profil en étudiant l’urbanisme. Je savais qu’un master était dispensé en la matière à l’ULiège (qui a d’ailleurs été reconfiguré entre-temps), mais j’ai pensé qu’il serait plus bénéfique pour moi de sortir de ma zone de confort. J’ai donc opté pour le master en urbanisme et aménagement dispensé à la KULeuven, en anglais, et en deux ans. Ce programme dépendait du département d’architecture, avec une mentalité et une façon de travailler totalement différentes de ce que j’avais connu jusqu’alors, à la Faculté des Sciences ! L’adaptation a demandé un effort certain, mais j’ai surtout appris de nouvelles compétences et une nouvelle façon de voir les choses, plus créative et plus conceptuelle. J’ai aussi découvert les projets comme les étudiants en architecture peuvent connaître, et j’ai notamment eu la chance de travailler tout un semestre sur un projet prenant place au Népal, avec un excellent souvenir du ‘fieldtrip’ de deux semaines sur place.  

Profession

Quelles ont été les différentes étapes de votre carrière ?

Ma première expérience professionnelle a été dans un bureau d’études, dont le ‘core-business’ est les études d’incidences sur l’environnement. J’avais déjà approché cette matière lors de mon master à Liège, et mon profil de géographe a été apprécié. L’avantage est que les géographes ne sont pas nombreux, et leurs compétences les rendent souvent complémentaires avec d’autres profils. Mon diplôme d’urbanisme m’a permis en plus d’intégrer l’équipe en charge des projets en Région-Bruxelles-Capitale, ce qui m’a beaucoup stimulé : j’ai eu la chance de travailler sur des projets ayant de forts enjeux en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire. J’appréciais surtout les échanges avec les auteurs de projet et les bureaux spécialisés, l’aspect ‘assistance à maîtrise d’ouvrage’ dans l’obtention de permis d’urbanisme, les réunions avec les clients, etc. Ce fut une expérience très enrichissante, et très formative. Je me souviens que j’ai d’abord pensé que je n’avais pas assez de responsabilité à mon goût, mais j’ai vite compris qu’entre la théorie de l’étudiant et la pratique du professionnel, il y a un cap d’apprentissage qui donne une certaine humilité. Mais cela n’est pas décourageant, au contraire, c’est à ce stade qu’avec de l’enthousiasme pour les projets on apprend le plus rapidement.

J’ai ensuite connu une deuxième expérience professionnelle comme chercheur en aménagement du territoire et en urbanisme à l’Université de Liège (unité du LEPUR), pour le compte de la CPDT (Conférence Permanente du Développement Territorial). J’y ai naturellement retrouvé avec plaisir quelques têtes connues, tant des anciens camarades d’études que des professeurs (qui étaient désormais des collègues et chefs !). En plus du retour au sein de la communauté universitaire, j’ai apprécié travailler sur des sujets variés et surtout d’actualité comme par exemple l’infrastructure verte, la multimodalité, l’étalement urbain, les comportements transfrontaliers, ou encore l’agriculture périurbaine. J’y ai aussi découvert une autre dynamique de travail, et l’expérience m’a beaucoup appris sur le monde institutionnel, les rouages de l’aménagement du territoire en Wallonie, et surtout sur des aspects juridiques de l’aménagement, ce qui est en réalité incontournable.

Pour quel organisme travaillez-vous actuellement ?

Je travaille depuis peu (février 2021) au SPW-ARNE (Service Public de Wallonie – Agriculture, Ressources naturelles et Environnement), au sein de la DAFoR (Direction de l’Aménagement foncier rural – l’organe qui historiquement planifiait les « remembrements »). Mon travail est davantage celui d’un géographe que d’un urbaniste, et mon expérience de chercheur y est appréciée. J’ai d’ailleurs été marqué par l’enthousiasme de mes nouveaux collègues à l’idée d’accueillir un géographe ; les attentes sont hautes, mais cela fait vraiment plaisir. Beaucoup d’entre eux sont des ingénieurs agronomes, un profil que j’ai toujours connu parmi mes collègues, à chaque étape de mon parcours.

En quoi consiste votre travail ?

Je suis attaché à l’Observatoire du Foncier agricole, et depuis mon arrivée, je me suis essentiellement concentré sur la rédaction du rapport de cet organe. Même si à terme, je dois devenir le référent pour cet outil, cela ne m’occupera pas l’année entière et je serai amené à remplir d’autres missions selon les besoins du service.

Sans rentrer trop dans le détail, le travail de l’Observatoire du Foncier agricole consiste à rassembler, traiter et présenter les données relatives aux opérations foncières agricoles (ventes, donations, échanges, locations, etc.). Ces données portent sur les volumes des transactions, les prix pratiqués, les superficies concernées, l’identités des acteurs, l’utilisation des sols, le caractère bâti, etc. Elles nous sont fournies par les notaires qui supervisent lesdites opérations.

Par rapport à ma mission en particulier, j’apprécie le fait que l’Observatoire du Foncier agricole soit un outil relativement récent, ce qui implique qu’il faut continuer à le construire et à l’améliorer. Ce qui est important pour moi évidemment, c’est aussi que ce travail ait un sens. En l’occurrence, toutes les connaissances que l’on restitue doivent servir d’aide à la décision pour les décideurs (ministres et parlementaires). Ce travail s’inscrit dans l’intérêt que porte la Wallonie au foncier agricole, qui est une ressource stratégique sous pression. Outre la lutte pour préserver les terres agricoles, les enjeux sont l’accès à la profession pour les jeunes agriculteurs et à la propriété en général. Sur le plan plus personnel, je suis satisfait que mon travail inclue des traitements cartographiques, ce qui fait un lien direct avec ma formation de géographe. J’aurai même l’occasion de travailler avec des bases de données, ce qui me demandera peut-être de me replonger dans certains cours !

Par rapport à l’ensemble du service dans lequel je travaille, j’apprécie l’approche moderne du métier : en plus des missions de ‘remembrements’ stricts (optimisation des répartitions des parcelles agricoles entre agriculteurs dans une optique de productivité), les préoccupations actuelles incluent la biodiversité, le paysage, les aléas d’inondations et de coulées boueuses, ainsi que la mobilité douce (entre autres).

Quels ont été les apports de votre formation dans votre vie professionnelle ?

Le titre de mon mémoire en géographie était « Analyse spatiale des déterminants de la santé. Quelle influence sur la demande en soins hospitaliers en Belgique? ». Cet exercice appliqué en géographie de la santé était inédit pour moi, et je n’avais pas spécialement d’idée pour un débouché direct sur un emploi. Aujourd’hui, il résonne tout à fait différemment, après plus d’un an d’une pandémie mondiale pendant laquelle les soins de santé ont régulièrement été au centre des préoccupations. Par ailleurs, ce mémoire a été pour moi la première expérience de manipulation de larges quantités de données (avec en plus une certaine notion de confidentialité), ce que je fais régulièrement dans mon travail.

De manière plus générale, j’ai compris grâce à mes études « l’échelle » à laquelle j’avais envie de travailler, et j’en ai gardé la volonté d’influer sur les choses qui nous entourent, de les améliorer. Bien sûr on apprend plus tard que tout cela ne se fait pas en un clin d’œil, et que de longues procédures se cachent derrière les projets d’aménagement. Aussi, je trouve que le solide bagage scientifique obtenu au départ, conjugué aux différentes options au long du cursus, donnent au géographe une capacité à dialoguer avec un panel de professionnels très large, allant de l’informaticien à l’agriculteur, en passant par l’économiste et l’architecte (par exemple).

Que vous a apporté votre formation sur le plan personnel ?

Je dirais que mes études m’ont clairement aidé à développer un esprit critique, une certaine rigueur scientifique, ainsi qu’une façon d’organiser mes idées et mes tâches, ce qui n’est pas inné. Aussi, je pense avoir grâce à mes études un bagage suffisant pour comprendre une grande partie de ce qui m’entoure, même si ma curiosité naturelle me pousse à vouloir en savoir toujours plus.

Je garde un excellent souvenir de mes études à Liège, mais aussi de l’échange Erasmus que j’ai eu la chance d’entreprendre à l’Université d’Utrecht, aux Pays-Bas, lors de ma troisième année de Bachelier. La destination n’étant sur papier pas très exotique, il s’agissait d’un choix de raison plutôt que du cœur. Mais quelle ne fut pas ma surprise ! La réputation de l’Université attirant des étudiants des quatre coins du monde, j’ai pu vivre une expérience totalement dépaysante, tout en profitant d’un enseignement et d’un cadre de vie au-delà de mes attentes. De plus, il s’agit d’une ville très attractive, qui est d’ailleurs régulièrement pointée comme exemplaire sur des aspects d’urbanisme et de mobilité (vélo), entre autres.

Souhaitez-vous partager une anecdote qui vous a particulièrement marqué au cours de votre carrière ?

Lorsque je travaillais pour l’Université de Liège en tant que chercheur, j’ai eu l’opportunité de participer à un voyage didactique dans le cadre du master en urbanisme. J’étais une sorte d’accompagnant ‘professionnel’, alors que certains étudiants avaient déjà plus d’années d’expérience que moi (il s’agit d’un ‘post-master’). Le voyage se déroulait justement à Utrecht, et j’étais très content car c’était la première fois que j’y retournais, 6 ans après mon séjour Erasmus, et certains quartiers avaient évolués de façon spectaculaire ! J’ai pris beaucoup de plaisir à servir de guide ‘officieux’ aux participants du voyage, tant sur le sujet des aménagement urbains que sur les bonnes adresses !

Quels sont vos projets pour le futur ?

Etant donné que j’en suis à mon troisième emploi en un peu plus de 3 ans de vie professionnelle, je pense que je vais me stabiliser et construire une expérience plus approfondie dans mon poste actuel. En plus, je suis en télétravail depuis que j’y suis ; j’ai donc encore beaucoup à découvrir sur ce travail dans un quotidien « normal ».

 

Aux (futurs) étudiants en Sciences

C’est important de rester curieux. Il ne faut pas hésiter à faire la démarche de trouver des liens entre les enseignements que l’on reçoit et les applications concrètes qu’ils peuvent avoir dans le monde professionnel. Ces liens ne sont pas toujours évidents. Aussi, je leur conseillerais de s’accrocher car l’éventail des disciplines en géographie est très large, et on a forcément des facilités et des préférences dans certaines matières plus que dans d’autres. Mais a posteriori, on est très satisfait d’avoir un bagage assez complet, même avec des sujets qu’on appréciait moins.

Enfin, je trouve qu’il est important de trouver son équilibre dans les études tout en s’investissant selon ses capacités dans la vie universitaire et ce qui l’entoure, car cela, on ne peut plus le faire après !

Antoine Legrand

Publié par Anthony Dupuis, le 7 juin 2022
modifié le 12/10/2023

Partagez cette page