Une publication dans Frontiers in Marine Science

Les océanologues appellent à un suivi mondial de la désoxygénation et de la santé des océans.



Photos provenant de Bocas del Toro (Panama) qui illustrent l’impact du péhnomène d’hypoxie sur la survie des coraux. Credit: Andrew Altieri.

Une étude, menée par des chercheurs de l’unité de recherche FOCUS  de l’Université de Liège, et appuyée par des océanologues du monde entier, lance un appel en faveur de la mise en place d'un système mondial permettant de suivre la perte d'oxygène dans certaines parties de l'océan et des eaux côtières dépourvues en oxygène, où les espèces aérobies ne peuvent plus se développer. La désoxygénation des océans est un phénomène qui s’amplifie notamment à cause du réchauffement climatique. Une étude qui fait l’objet d’une publication dans la revue Frontiers in Marine Science.

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ace à l’augmentation des zones dépourvues d’oxygène où seuls des bactéries et organismes anaérobiques peuvent survivre, une équipe d’océanographes, emmenés par Marilaure Grégoire, Professeure et chercheuse au sein du MAST (Modeling for Aquatic Systems) / Unité de recherches FOCUS de la Faculté des Sciences de l’Université de Liège, lance un appel à la communauté en faveur de la mise en place d'un système mondial permettant de suivre et de cartographier la perte d'oxygène de l’océan mondial. Selon ces experts issus de 45 institutions de 22 pays, une gestion durable des écosystèmes marins nécessite la mise en place d’un atlas des concentrations d’oxygène couvrant l’océan ouvert et côtier.

Le réchauffement des océans, dû en grande partie à la combustion de énergies fossiles, aggrave le problème de désoxygénation, avec de graves conséquences pour les communautés, les pêcheries et les écosystèmes du monde entier. L'une des zones à faible teneur en oxygène les plus connues est une vaste zone qui se forme désormais chaque été dans le golfe du Mexique, s'étendant depuis l'embouchure du Mississippi. La plus grande zone morte s'est formée en 2017 sur 23 000 kilomètres carrés. « L'ajout excessif de nutriments dans les eaux côtières engendre le développement massif du phytoplancton qui, lorsqu’il meurt, sédimente  sur le fond et nourrit des bactéries qui consomment de l'oxygène, ce qui entraîne une baisse du niveau d’oxygène, explique Marilaure Grégoire. Mais les eaux plus chaudes augmentent le métabolisme des êtres vivants, ce qui signifie qu'ils ont besoin de plus d'oxygène pour survivre. » En outre, l'augmentation de la température de l'eau entraîne une diminution de la quantité d'oxygène disponible. « Ces zones dites « hypoxiques » avec peu  d'oxygène peuvent durer de quelques jours à plusieurs mois, explique Marilaure Grégoire avec des conséquences parfois fatales pour les organismes sédentaires. »  S’ il existe déjà quelques bases de données internationales de référence rassemblant en accès ouvert les données d’oxygène, il reste encore un grand nombre de données qui ne sont pas intégrées dans les bases actuelles. En outre, le protocole de contrôle qualité varie d’une base de données à l’autre rendant difficile l’utilisation de données venant de systèmes différents pour   produire des cartes consistantes du niveau d’oxygène. Cette hétérogénéité dans les sources de données fait qu’actuellement il existe une incertitude sur le niveau de désoxygénation de l’océan mondial.

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Taille de la zone hypoxique estivale au nord du Golfe du Mexique. Cette zone hypoxique moyenne mesurée au cours des cinq dernières années est d’environ 13 500 km2. Depuis le début des enregistrements, en 1985, la plus grande zone hypoxique a été mesurée en 2017 à 21 940 km2
 

« Cette dernière décennie le nombre de données d’oxygène a quadruplé en raison de l’utilisation de capteurs électrochimiques et optiques mesurant en continu le niveau d’oxygène depuis les plateformes autonomes comme les drônes sous-marins et les flotteurs Argos, reprend Marilaure Grégoire. Cependant, la qualité des données issues de ces capteurs est encore fortement hétérogène et diffère suivant le protocole de calibration. Pour cette raison, ces données ne sont pas encore intégrées dans l’estimation du niveau de désoxygénation alors qu’elles représentent une manne d’information considérable ». C’est suite à ce constat que les scientifiques préconisent la mise en place d’une base de données unique rassemblant les données issues des mesures par capteurs et titration chimique collectées via les plateformes classiques et autonomes. Cette base de données devra être ouverte à tous et utiliser un protocole commun et bien documenté du contrôle qualité. Elle permettra une cartographie précise de l’oxygène dans les zones côtières et de l’océan mondial offrant une information à haute résolution en support à la prise de décision.     

« Actuellement, la qualité et la disponibilité des données d’oxygène dans les bases de données internationales ne permettent pas d'estimer avec précision les baisses d'oxygène à long terme. Dans l’article que nous venons de publier nous soulignons la nécessité d'un effort international coordonné en vue de la création d'une base de données et d'un atlas mondial de l'oxygène océanique, explique Marilaure Grégoire. Baptisée GO2DAT (pour Global Ocean Oxygen Data base and ATlas), cette base de données en libre accès est conforme aux principes FAIR*.» GO2DAT combinera des données provenant des zones côtières et de la haute mer. Cette nouvelle base de données servira à soutenir le développement d'analyses de données avancées et de modèles biogéochimiques pour améliorer les capacités de cartographie, de compréhension et de prévision des changements de l'oxygène (O2) océanique et des tendances de désoxygénation. GO2DAT offrira la possibilité de développer des produits de synthèse de données de qualité contrôlée avec une résolution spatiale et temporelle sans précédent. « Ces produits appuieront l'évaluation, l'amélioration et l'appréciation des modèles ainsi que le développement d'indicateurs du climat et de la santé des océans, se réjouit Marilaure Grégoire. Nous espérons également qu’ils puissent soutenir les processus décisionnels associés à l'économie bleue émergente, la conservation des ressources marines et des services écosystémiques qui leur sont associés, ainsi que le développement d'outils de gestion requis par une communauté diversifiée d'utilisateurs (par exemple, les agences environnementales, les secteurs de l'aquaculture et de la pêche). Une meilleure base de connaissances sur les variations spatiales et temporelles de l'oxygène marin améliorera notre compréhension du bilan de l'oxygène océanique et permettra une meilleure quantification des bilans de carbone et de chaleur de la Terre. « Le développement de GO2DAT  est prévu dans le cadre de notre programme GOOD (Global Ocean Oxygen Decade) récemment endossé par l’Unesco dans le cadre de la décennie des océans».

 

*Findable, Accessible, Interoperable, and Reusable (repérables, accessibles, interopérables et réutilisables)

Référence scientifique

Marilaure Grégoire & al., A global ocean oxygen database and atlas for assessing and predicting deoxygenation and ocean health in the open and coastal ocean, Frontiers in Marine Science, December 2021

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Marilaure Grégoire

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