Une publication dans Science Advances

Réévaluation des émissions de gaz à effet de serre par les lacs africains



Les grands lacs d'Afrique ©ESA

Une étude menée par le Laboratoire d’Océanographie Chimique (Unité de recherches FOCUS / Faculté des Sciences) permet de réévaluer les émissions vers l’atmosphère de dioxyde de carbone (CO2) et de méthane (CH4) – les plus puissants gaz à effet de serre -  dans les lacs africains. Alors que l’on pensait que ces lacs jouaient un rôle important de source de CO2, il s’avère qu’ils émettent en fait très peu de CO2 mais au contraire beaucoup de méthane, ce qui alourdi la note au niveau des émissions. Cette étude a fait l’objet d’une publication dans la revue Science Advances.

Une des clés pour prévoir les changements climatiques est de prédire comment les émissions de gaz à effet de serre (GES) des écosystèmes naturels de notre planète pourraient évoluer. Mais pour ce faire, il est important de pouvoir les estimer le plus correctement possible et de comprendre les mécanismes sous-jacents. Il y a sur notre Terre environ 1,5 million de lacs. Ceux-ci, à l’inverse des océans, jouent un rôle important dans l’émission de gaz à effet de serre. La reconnaissance du rôle important des eaux continentales comme émetteur de dioxyde de carbone (CO2) et méthane (CH4) - les deux principaux GES – est arrivée de façon assez tardive. Ce n’est qu’au milieu des années 1990 que l’on commencé à les étudier et ils sont donc relativement peu échantillonnés. « Ceci est problématique, explique Alberto Borges, Directeur de recherche FNRS au Laboratoire d’Océanographie Chimique de l’ULiège, car l’hétérogénéité spatiale est très importante, tant dans un même lac ou une même rivière, qu’entre des systèmes différents. Si l’hétérogénéité très forte, il faut obtenir des quantités très importantes de données pour avoir une estimation robuste des émissions de GES. Or il y a presque 2 millions de lacs sur Terre.»

Jusqu’ici les chercheurs disposaient que des données sur lacs nord-américains et scandinaves (boréaux) et de très peu sur les lacs tropicaux et aucunes sur les lacs africains. Ces valeurs étant extrapolées à tous les lacs mondiaux, dont les lacs tropicaux. Or, ce lacs ne se « comportent » pas de la même manière au niveau de la séquestration et des émissions des GES. Une étude menée sur plus de dix ans par des chercheurs du Laboratoire d’Océanographie Chimique de l’ULiège, permet aujourd’hui d’affirmer que les données récoltées au niveau lacs nord-américains et scandinaves ne s’applique pas aux lacs africains.

« Les micro-algues qui constituent le phytoplancton aiment beaucoup les conditions chaudes et lumineuses de « l’été sans fin » tropical, reprend Alberto Borges, ce qui veut dire que certains des lacs africains que nous avons étudiés sont extrêmement productifs. Or le phytoplancton par la photosynthèse retire du CO2 de l’eau et donc ces lacs en fait séquestrent du CO2 sous forme de matière organique enfouie au fond des lacs dans les sédiments. Ils jouent donc à ce niveau le rôle de puits de carbone, alors que jusqu’à présent on avait toujours supposé que les lacs émettaient au contraire du CO2 en très grandes quantités vers l’atmosphère comme les lacs boréaux. » En effet dû aux conditions plus froides et moins lumineuses, les lacs des zones boréales ont très peu de phytoplancton et se limitent à « composter » les déchets végétaux venant de la forêt environnante qui est transportée par le ruissèlement vers les lacs et ne peuvent donc jouer ce rôle de puit comme le font les lacs africains.

Mais les conditions tropicales chaudes toute l’année ont un revers. En effet, la chaleur est très favorable au développement d’archées, des micro-organismes qui produisent du méthane (CH4). Ce qui fait que les concentrations en méthane dans les lacs tropicaux sont très élevées en comparaison aux lacs boréaux, d’autant plus que le phytoplancton qui sédimente au fond des lacs tropicaux fourni un substrat très intéressant d’un point de vue « nutritif » pour les archées productrices de méthane. Ce que l’on pensait « gagner » dans les lacs tropicaux au niveau de la séquestration du CO2, est en fait « perdu » par une production plus importante de CH4.

« Grâce à une compréhension des mécanismes sous-jacents à la production de CO2 et CH4 par les lacs (profondeur et couvert végétal environnant), nous pouvons désormais avoir une approche plus éclairée et rigoureuse de la situation plutôt qu’une extrapolation aveugle basée sur une simple moyenne de toutes les données, comme l’on faisait jusqu’à présent dans la littérature, conclu Alberto Borges. » L’étude menée par les chercheurs de l’ULiège a permis l’extrapolation des émissions de CO2 et CH4 à 72,500 lacs tropicaux dans le monde grâce à l’intégration de plusieurs bases de données spatiales. Cette étude qui vient d’être publiée dans Science Advances synthétise des mesures obtenues sur plus de 10 ans dans 24 lacs Africains dont les plus grands du Rift Africain (Victoria, Tanganyika, Albert, Kivu, Edouard), pendant 17 missions de terrain, dans le cadre de 2 projets BELSPO (EAGLES, HIPE) et 5 projets FNRS (TRANS-CONGO, LAVIGAS, TANGAGAS, KYBALGAS, MAITURIK).

Référence scientifique

Borges AV, L Deirmendjian, S Bouillon, W Okello, T Lambert, FAE Roland, VF Razanamahandry, NRG Voarintsoa, F Darchambeau, IA Kimirei, J-P Descy, GH Allen, C Morana (2022) Greenhouse gas emissions from African lakes are no longer a blind spotScience Advances, June 2022.

Contact

Alberto Borges

Partagez cette news