Hommage au Professeur Jacques C. J. Nihoul
« Le secret de la mer est celui de cette interdépendance multiforme entre les processus physiques, chimiques et biologiques, de ces interactions complexes avec ses frontières, côtes, sédiments de fond, l’atmosphère et de ces échanges diversifiés et permanents entre la matière inerte et la vie. L’océanographie doit être interdisciplinaire et la pollution est là pour nous le rappeler.»
Ces phrases ont été prononcées en 1972 par le Professeur Jacques C. J. Nihoul, précurseur de l’interdisciplinarité en océanographie. A une époque où les sciences de l’océanographie sont compartimentées, la sagacité des propos impressionne. Jacques Nihoul profite d’une tribune qui lui est offerte lors du lancement du Projet Mer du Programme National sur l’Environnement Physique et Biologique pour démontrer avec clarté que la préservation des écosystèmes ne peut se faire qu’en intégrant les connaissances acquises en biologie, chimie, physique, sédimentologie, météorologie, ingénierie, économie et sociologue. C’est le lancement du programme Mer rassemblant plus de 200 chercheurs des différents domaines. Presque 50 ans plus tard, le mot interdisciplinarité est au cœur de tous les programmes internationaux en océanographie. La Décennie pour les sciences océaniques au service du développement durable lancée par les Nations Unies en février 2021 en est une des plus belles illustrations.
Diplômé ingénieur physicien de l’Université de Liège en 1960, en Sciences Mathématiques du Massachusetts Institute of Technology en 1961, Docteur en Mathématiques Appliquées et Physique Théorique de l’Université de Cambridge en 1965, Jacques Nihoul a été nommé professeur à l’Université Catholique de Louvain en 1965 et Professeur Ordinaire à l’Université de Liège en 1966 alors qu’il n’avait pas 30 ans. Ses travaux de recherches fondamentales sur l’hydrodynamique et la turbulence l’ont amené à proposer des modèles mathématiques des processus physiques océanographiques. Ces modèles seront par la suite étendus pour y inclure les équations de la dynamique biogéochimique jetant ainsi les bases de la modélisation couplée physique-biogéochimie et conduisant à l’élaboration du premier modèle interdisciplinaire de la mer du Nord. Les travaux de Jacques Nihoul dans le domaine de la modélisation et sa prééminence dans le programme Mer ont attiré l’attention mondiale et ont augmenté le prestige de la Belgique dans le domaine. Ils lui ont valu de recevoir le Prix Francqui en 1978. Il a été actif dans de nombreux programmes internationaux comme SCOR et GLOBEC, a été le Président de la section océanographie de l’Académie des Sciences de Belgique et l’éditeur en chef du Journal of Marine Systems.
Ses enseignements de la mécanique rationnelle et de la mécanique des fluides étaient une expérience unique qui a marqué des générations d’étudiants. Tout ingénieur formé à l’Université de Liège se souvient des cours de Jacques Nihoul. Sa personnalité hors du commun ne pouvait laisser indifférent. Esprit foisonnant et étincelant, sans cesse passionné par les nouvelles questions scientifiques, il était source d’inspiration pour ses chercheurs. Être son(a) thésard(e) vous connectait à la recherche en océanographie du plus haut niveau et vous offrait le privilège de fréquenter les scientifiques les plus prestigieux. Il avait à cœur de soutenir ses chercheurs et de les pousser hors de leur zone de confort afin de réaliser le meilleur d’eux-mêmes.
Jacques Nihoul compte parmi les quelques personnalités qui ont fait de Liège un centre mondialement reconnu en océanographie. Et, si aujourd’hui, l’Université de Liège comprend une filière d’enseignement en modélisation de l‘océan et est impliquée dans des programmes de recherches internationaux, c’est l’héritage de Jacques Nihoul. S'il y a un nombre impressionnant d'océanographes de renom dans les centres de recherches du monde entier qui ont été formés à Liège, c'est aussi son héritage. Si chaque année au mois de mai, des chercheurs des différents continents viennent à Liège depuis plus de 50 ans discuter d’une problématique liée à l’océanographie, c’est encore l’héritage de Jacques Nihoul. Le colloque de Liège de dynamique de l’océan est un événement mondialement reconnu, unique en océanographie. Centré au départ sur l’étude de la turbulence océanique, il s’est élargi au cours des années à des thématiques interdisciplinaires.
Jacques Nihoul vient de nous quitter ce 6 mai 2021. Son héritage est colossal, produit toujours des effets et ne sera pas oublié.
