Une publication dans Freshwater Biology

La fin du cauchemar au Lac Victoria ?



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Le lac Victoria est le plus grand des lacs du Rift Africain, vus de l’espace (https://visibleearth.nasa.gov/)

Le Lac Victoria, placé sous les feux des projecteurs en 2004 par le documentaire « Darwin’s nightmare » ne souffre pas uniquement de l’introduction et de la commercialisation de la perche du Nil. Une étude menée par l’océanographe Alberto Borges de l’ULiège met en lumière d’autres phénomènes inquiétants, notamment climatiques, qui ont un impact tout aussi important sur la qualité des eaux du lac. Ces travaux ont été récemment publiés dans la revue Freshwater Biology.

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itué en Afrique de l’est, un peu au sud de l’Équateur, le Lac Victoria est la source du Nil et constitue le plus grand lac tropical du monde. Avec une superficie de 68 800 km² (ce qui correspond à deux fois la superficie de la Belgique), il est considéré comme l’une des plus grandes ressources hydriques et halieutiques d'Afrique de l'Est, assurant la subsistance de plus de 47 millions d'habitants des trois pays riverains (Ouganda, Tanzanie et Kenya).

Le lac Victoria est surtout connu du grand public suite à la diffusion du documentaire Darwin's Nightmare (Le Cauchemar de Darwin) sorti en 2004, qui traite des effets environnementaux et sociaux de l'industrie de la pêche autour de la perche du Nil. Prédateur vorace pouvant atteindre une taille de deux mètres de long pour 200Kg, la perche du Nil est le plus grand poisson d’eau douce. Son introduction dans le lac Victoria dans les années 1950 et son explosion démographique dans les années 1960 a peu à peu anéanti les espèces de poissons indigènes vivant dans le lac, provoquant une catastrophe écologique majeure. A ce jour, la population de la perche du Nil reste omniprésente mais enregistre une légère diminution due à la surpêche, ce qui a permis à certaines espèces de se reconstituer partiellement.

Ce que l’on sait moins  - et qui est peut-être en interaction avec le présence de la perche du Nil – mais qui est tout aussi dommageable pour l’écosystème, est la qualité générale de l’eau du lac. « Celle-ci a fortement décliné entre les années 1960 et 1990 en raison de l’eutrophisation qui est due à l'augmentation des apports de nutriments (azote et phosphore) dans les masses d'eau (rivières et lacs) en raison de l'accroissement des activités humaines sur le bassin versant (agriculture intensive avec engrais ou eaux usées domestiques) qui résultent de la croissance démographique et du développement économique », explique Alberto Borges, Directeur de recherches FNRS, du Laboratoire d’Océanographie chimique (Unité de recherches FOCUS / Faculté des Sciences) à l’Université de Liège.

Cette eutrophisation entraîne un développement important des micro-algues (phytoplancton). En particulier les cyanobactéries, de micro algues de couleur bleu-vert, peuvent être problématiques pour la santé humaine car certaines formes sont toxiques. « De plus, l’excès de biomasse phytoplanctonique (la matière organique issue de ces algues) ne peut généralement pas être transformée par le reste du réseau alimentaire, reprend le chercheur. Cet excès reste inutilisé et stagnant au fond des lacs, il crée un phénomène d'anoxie, d’absence d'oxygène dans les eaux de fond des lacs. Ce qui conduit à la dégradation de l'écosystème. »

Depuis les années 1990, aucune étude à grande échelle de la qualité de l'eau du lac Victoria n'avait été entreprise. C’est dans le cadre du projet LAVIGAS - financé par le FNRS et dirigé par Alberto Borges - qu’une équipe de recherche a pu étudier la biomasse et la composition du phytoplancton ainsi que le statut nutritif du lac lors de trois missions scientifiques (2018 -2019). « Cette étude montre que la biomasse du phytoplancton a diminué d'environ sept fois par rapport aux années 1990, reprend le chercheur, et que la composition des espèces a également changé de manière subtile. »  Ce qui semble être une bonne nouvelle pour l'environnement du lac Victoria ne l’est peut-être qu’en apparence…

Paradoxalement, la quantité de nutriments est, quant à elle, restée comparable à celle des années 1990. Un paradoxe qui peut toutefois être expliqué, car, en plus des nutriments, le phytoplancton (comme toutes les plantes) a également besoin de lumière pour se développer. Dans les lacs, la quantité de lumière pour le phytoplancton dépend évidemment du rayonnement solaire à la surface du lac, mais aussi de la profondeur de l'eau sur laquelle résident les cellules de phytoplancton. Cette profondeur, appelée couche de mélange, dépend principalement de l'intensité du vent. « Si le vent est intense, la profondeur de la couche de mélange est plus importante, et les cellules de phytoplancton passent moins de temps près de la surface où la lumière est plus intense, et ne se développent pas aussi bien, explique Alberto Borges. Nos travaux montrent que les conditions météorologiques actuelles sont plus venteuses que dans les années 1990, que la profondeur de la couche de mélange est donc plus importante et la croissance du phytoplancton moins intense que dans les années 1990. » Les vents plus faibles des années 1990 étaient liés aux conditions dominantes d'El Niño,  une oscillation naturelle du climat mondial qui provient de la circulation atmosphérique à grande échelle au-dessus de l'océan Pacifique et qui affecte le climat dans le monde entier.

Cette histoire plutôt complexe montre que le régime climatique établi dans l'océan Pacifique (El Niño) affecte l'écologie d'un lac situé en Afrique, de l'autre côté de la planète ! « Plus précisément, elle montre que la croissance du phytoplancton - et par conséquent le reste de la chaîne alimentaire - répond dans les grands lacs tropicaux à l'eutrophisation de manière complexe et est fortement modulée par le climat, constate Alberto Borges. »  Ce qui veut dire que l'amélioration actuelle de la qualité de l'eau du lac Victoria pourrait n’être que temporaire, et que les conditions pourraient se détériorer à nouveau à l'avenir si le mélange vertical dans le lac diminue en raison de la baisse de l'intensité des vents (nouvelle période des conditions dominantes d'El Niño) ou en raison du réchauffement continu du climat.

Référence scientifique

Deirmendjian L, J-P Descy, C Morana, W Okello, Stoyneva-Gärtner Maya P, S Bouillon, AV Borges (2021) Limnological changes in Lake Victoria since the mid-20th century, Freshwater Biology, 18 june 2021

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Alberto Borges

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