Une publication dans Proceedings of the Royal Society B

Les dents de sabre de Smilodon



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Une équipe de chercheurs menée par Narimane Chatar, doctorante au sein de l’EDDyLab de l’Université de Liège a testé l’efficacité de morsure du Smilodon, une espèce éteinte de carnivore proche des félins actuels.  Grâce à des scans 3D de haute précision et de méthodes de simulations, l’équipe vient de dévoiler comment ces animaux arrivaient à mordre malgré la longueur impressionnante de leurs dents. Cette étude fait l’objet d’une publication dans la revue Proceedings of the Royal Society B.

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es anciens mammifères carnivores ont développé un large éventail de formes de crânes et de dents tout au long de leur évolution. Toutefois, peu de ces évolutions n’ont encore égalé celles de l'emblématique félidé à dents de sabre Smilodon. D’autres groupes de mammifères, tels que les nimravidés, aujourd'hui disparus, ont pourtant également évolué vers une morphologie similaire, avec des espèces dotées de dents de sabres mais également de canines beaucoup plus courtes, similaire à celles des lions, tigres, caracals, chats domestiques, etc. que nous connaissons actuellement. Ce phénomène d'apparition de morphologies similaires dans différents groupes d'organismes est connu sous le nom d'évolution convergente ; les félidés et les nimravidés étant un exemple étonnant de convergence. Comme il n'existe pas d'équivalents modernes d’animal présentant des telles dents en forme de sabre, la méthode de chasse de Smilodon et autres espèces similaires est restée obscure et fait l'objet de vifs débats. Il a été suggéré dans un premier temps que toutes les espèces à dents de sabre chassaient de la même manière, quelle que soit la longueur de leurs canines, une hypothèse aujourd'hui controversée. Dès lors la question est resté en suspend … comment faisaient cette variété de « chats à dents de sabre » pour chasser ?

« Les énormes canines du chat à dents de sabre éteint Smilodon impliquent que cet animal devait ouvrir sa mâchoire de manière extrêmement large, 110° selon certains auteurs, afin de les utiliser efficacement, explique le Pr Valentin Fischer, directeur de l’EDDyLab (Géologie / Faculté des Sciences) de l’ULiège. Cependant, la faisabilité mécanique et l'efficacité de Smilodon et de ses proches à mordre à un angle aussi grand sont inconnues, laissant une lacune dans notre compréhension de cette question très fondamentale sur les prédateurs à dents de sabre. » En utilisant des scanners 3D de haute précision et des méthodes analytiques issues de l'ingénierie, une équipe internationale de scientifiques belges et nord-américains vient de révéler comment ces animaux utilisaient probablement leurs armes impressionnantes.

Narimane Chatar, doctorante à l’EDDyLab de l'Université de Liège et auteur principal de l'étude, a rassemblé une grande quantité de données tridimensionnelles. Elle a d’abord scanné et modélisé le crâne, la mandibule et les muscles de nombreuses espèces éteintes et existantes de félidés et de nimravidés. « Chaque espèce a été analysée selon plusieurs scénarios : une simulation de morsure a été réalisée sur chaque dent à trois angles de morsure différents : 30°, comme on le voit couramment chez les félidés d'aujourd'hui, mais aussi des angles plus important (60° et 90°). Au total, nous avons effectué 1074 simulations de morsure, afin de couvrir toutes les possibilités, explique Narimane Chatar. » Pour ce faire la jeune chercheuse a utilisé la technique d’analyse par éléments finis. « Il s’agit d’une application passionnante de l’approche par éléments finis, qui permet aux paléontologues de modifier et de simuler par calcul différents angles de morsure et de soumettre les modèles de crâne à des contraintes virtuelles sans endommager les précieux spécimens fossiles, reprend Pr Jack Tseng, professeur et conservateur de paléontologie à l'Université de Californie à Berkeley et co-auteur de l'étude. Nos analyses complètes fournissent la vision la plus détaillée à ce jour de la diversité et des nuances de la mécanique de morsure des dents de sabre."

Barbourofelis fricki N.Chatar

Barbourofelis fricki USNM PAL 531533 et le modèle 3D résultant du scan.  Barbourofelis fricki est une espèce extrêmement dérivée et possède les crocs les plus impressionnants de tout l'ensemble des données. Crédit : Narimane Chatar.

L'un des résultats obtenus par l'équipe est la compréhension de la distribution du stress (la pression) sur la mandibule pendant la morsure. Ce stress montre un continuum à travers les animaux analysés, les valeurs les plus élevées étant mesurées chez les espèces ayant les canines supérieures les plus courtes et les valeurs de stress les plus faibles étant mesurées chez les espèces à dents de sabre les plus extrêmes. Les chercheurs ont également noté que le stress diminuait lorsque l'angle de morsure augmente, mais uniquement chez les espèces à dents de sabre. Cependant, la façon dont ces animaux ont transmis la force au point de morsure et la déformation de la mandibule résultant de la morsure sont remarquablement similaires dans l'ensemble du jeu de données, ce qui indique une efficacité comparable, quelle que soit la longueur des canines.

« Les résultats obtenus montrent à la fois les possibilités et les limites de l'évolution ; les animaux confrontés à des problèmes similaires dans leurs écosystèmes respectifs finissent souvent par se ressembler par évolution convergente. Toutefois, les résultats obtenus par Narimane Chatar montrent également qu'il peut y avoir plusieurs façons d'être un tueur efficace, que l'on soit à dents de sabre ou non, conclu Valentin Fischer. » Ce phénomène, appelé système fonctionnel multiple, signifie que des morphologies distinctes peuvent aboutir à une fonction similaire, comme le fait que les ours et les chats sont tous deux des pêcheurs efficaces. Cette multiplicité de morphologies indique qu'il n'existe pas une seule forme optimale de prédateur à dents de sabre.

N. Chatar Smilodon FR

Reconstruction grandeur nature de trois espèces différentes étudiées avec leurs cartes thermiques de stress aux trois angles différents pour une morsure canine inférieure droite. Les couleurs plus froides sur les cartes thermiques des espèces à dents de sabre indiquent un stress plus faible et une force plus élevée, en particulier lors de la morsure à des angles plus importants. 

Référence scientifique

Chatar, N., Fischer, V., Tseng, Z. J. (2022) Many-to-one function of cat-like mandibles highlights a continuum of sabre tooth adaptions. Proceedings of the Royal Society B : Biological Sciences. 289.

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Narimane Chatar

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