Une publication dans International Journal of Molecular Sciences

La lunaemycin, un nouvel antibiotique tiré du lait de lune



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©Vincent Gerber

Une étude menée par des scientifiques de l’Université de Liège et de la spin-off HEDERA-22 sur le lait de lune - un dépôt minéral que l’on retrouve dans les grottes et utilisé pour ses propriétés curatives - permet la découverte d’un composé cryptique actif contre des bactéries multirésistantes aux antibiotiques. Cette découverte fait l’objet d’un transfert de technologie et d’une publication dans la revue International Journal of Molecular Sciences.

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epuis la nuit des temps, l’être humain a su puiser dans l’environnement les ressources, les techniques et parfois les croyances pour se prémunir des maladies et soigner sa santé. Si l’efficacité de certaines pratiques ancestrales a été démontrée et avalisée par la médecine moderne, la rationalité de nombreuses médecines traditionnelles demeure incomprise voire suspicieuse. C’est le cas de l’utilisation du lait de lune ou moonmilk, une concrétion que l’on retrouve fréquemment sous diverses formes (pâteuse, sèche, ou liquide), dans les grottes calcaires, un remède utilisé à des fins curatives. « Ce spéléothème est le plus souvent observé sous forme de roche tendre en fonction de son hygrométrie, une sorte de cheesecake minéral, explique Sébastien Rigali, microbiologiste moléculaire au sein du Centre d’Ingénierie des Protéines - CIP (Unité de recherches InBios/Faculté des Sciences) de l’ULiège. Les preuves archéologiques de son exploitation comme agent anti-infectieux sont nombreuses, principalement dans les Alpes suisses et autrichiennes. »  

C’est d’abord par simple curiosité, celle de chercher une rationalité légitimant l’utilisation du lait de lune en thérapie humaine et animale, que le laboratoire du Dr Sébastien Rigali, Maître de recherches F.R.S-FNRS, a décidé d’en étudier la flore microbienne. « La première étape a consisté à aller sur le terrain, dans les grottes du plateau condruzien, afin d’y trouver des dépôts de lait de lune et d’en isoler les actinobactéries filamenteuses, les bactéries championnes toutes catégories de la production d’agents antimicrobiens. » Les chercheurs en ont trouvé beaucoup, tant par leur nombre que par leur diversité. Tous les genres bactériens les plus prolifiques en termes de production d’antimicrobiens y étant représentés. « L’analyse des génomes des bactéries isolées a révélé que ces bactéries participaient à la constitution d’une vaste pharmacie souterraine ! Ce consortium microbien étant capable de produire des centaines d’antibiotiques dont certains sont quotidiennement utilisés aujourd’hui. Mais ce qui est sans doute le plus fascinant, a été de constater que la grande majorité des gènes de biosynthèse de bioactifs trouvés chez ces bactéries sont cryptiques, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible d’y associer une molécule connue. »

Lunaemycin 2 ©Vincent Gerber

Expéditions à la recherche et collecte de dépôts de lait de lune au sein du karst wallon. ©Vincent Gerber

Ce qui veut dire que ces souches constituent un vrai réservoir pour la découverte de nouvelles molécules bioactives. « Statistiquement, c’est comme s’il suffisait de se pencher pour ramasser et identifier un nouvel antibiotique, antifongique ou encore des agents anticancéreux, se réjouit le chercheur. » La réalité est évidemment bien plus complexe. Ces molécules ne se prêtent pas facilement au jeu de leur culture en conditions de laboratoire. Extirpées de conditions de croissance extrêmes et oligotrophes, il est difficile de les maintenir « en pleine forme » une fois remontées à la surface. De plus, leur développement en culture de laboratoire n’est pas souvent optimal, les milieux généralement utilisés étant trop riches, et donc dans une certaine mesure toxiques, comparativement aux conditions de leur niche originale.

C’est par le biais de collaborations entre les laboratoires du CIP, du GIGA, du Laboratoire de Spectrométrie de Masse et du CIRM de l’Université de Liège et de la société HEDERA-22, une spin-off de l’ULiège active dans la découverte et la production de biomolécules d’intérêt thérapeutique ou agro-industriel, que ces efforts ont payé et ont permis de révéler un premier composé cryptique. « Il s’agit d’un antibiotique nommé « lunaemycin » et produit par une nouvelle bactérie Streptomyces lunaelactis, lunaemycin et lunaelactis faisant référence à la niche écologique d’où cette molécule et cette bactérie sont originaires, le lait de lune. La lunaemycin présente des propriétés intéressantes, notamment active contre des bactéries Gram-positives multi-résistantes aux antibiotiques. »

Luneamycin Rigali

Les différentes étapes de la recherche de molécules bioactives produites par les bactéries du lait de lune. (a) Visualisation de bactéries filamenteuses entre les fibres de moonmilk. (b) Bactérie isolée du moonmilk (Streptomyces lunealactis). (c) Activité antibiotique de Streptomyces lunelactis. (d) structure de la lunaemycin.

D’autres critères doivent encore être évalués afin de savoir si ce nouvel antibiotique sera un jour exploitable, mais la lunaemycin représente avant tout un premier coup de pioche dans la partie immergée de l’iceberg nommé « moonmilk », qui contient de nombreuses molécules encore inconnues à ce jour et qui pourraient présenter des propriétés similaires. La lunaemycin est aussi ce premier « proof of concept » qui démontre la capacité des équipes de recherche à pouvoir découvrir de nouvelles molécules, depuis les premières contorsions dans les galeries des grottes de Wallonie jusqu’à leur résolution structurale et la détermination de leurs activités biologiques.

L’ensemble des compétences du laboratoire de Sébastien Rigali et des laboratoires de l’Université de Liège impliqués dans cette recherche a fait l’objet d’un transfert de technologie vers la spin-off HEDERA-22 dont l’objectif est d’exploiter le potentiel des bactéries isolées du moonmilk et d’en révéler les molécules les plus prometteuses en thérapie humaine mais aussi dans le domaine agro-industriel. Si cette étude apporte une certaine légitimité à l’utilisation du lait de lune en médecine traditionnelle, elle démontre encore une fois l’étendue des trésors que le monde microbien est encore prêt à nous offrir.

Référence scientifique

Loïc Martinet1,2, Aymeric Naômé 1,2, Lucas C. D. Rezende 2, Déborah Tellatin 1, Bernard Pignon 1, Jean-Denis Docquier 1,3, Filomena Sannio 3, Dominique Baiwir 4, Gabriel Mazzucchelli 5, Michel Frédérich 6and Sébastien Rigali 1,2, Lunaemycins, New Cyclic Hexapeptide Antibiotics from the Cave Moonmilk-Dweller Streptomyces lunaelactis MM109T, Int. J. Mol. Sci. 2023, 24(2), 1114, 06 Jan 2023

1 InBioS—Centre for Protein Engineering, Institut de Chimie B6a, University of Liège, B-4000 Liege, Belgium

2 Hedera-22, Boulevard du Rectorat 27b, B-4000 Liege, Belgium

3 Dipartimento di Biotecnologie Mediche, University of Siena, Viale Bracci 16, 53100 Siena, Italy

4 GIGA Proteomics Facility, University of Liege, B-4000 Liege, Belgium

5 Mass Spectrometry Laboratory, MolSys Research Unit, University of Liege, B-4000 Liege, Belgium

6 Laboratory of Pharmacognosy, Center of Interdisciplinary Research on Medicines (CIRM), University of Liege, B-4000 Liege, Belgium

Contact

Sébastien RIGALI

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