Trappist-1b et c : atmosphères ou pas ?



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Après la planète b il y a quelques mois, c’est au tour de la planète c  du système TRAPPIST-1 d’être la cible du télescope spatial JWST.  Un groupe international de recherche , incluant  Michaël Gillon, Directeur de recherches FNRS et astrophysicien à l’ULiège, découvreur principal du système, vient en effet de présenter sa détection de l’émission thermique de la planète TRAPPIST-1c avec le JWST. Leur analyse de cette mesure présente comme peu probable la présence autour de la planète d’une atmosphère dense riche en dioxyde de carbone comme celle de Vénus, un résultat similaire à celui acquis pour la planète b un peu avant. Peut-on alors en conclure que ces deux planètes sont de grosses boules de roche dépourvue d’atmosphère ? "C’est largement prématuré", nous explique Michaël Gillon dans cette interview.


M.Gillon rond ULliege : M.Houet
Michaël Gillon est astrophysicien, Directeur de recherches du F.R.S.-FNRS et dirige le laboratoire EXOTIC (Unité de recherches Astrobiology/ Faculté des sciences). Il dirige le consortium SPECULOOS qui rergoupe de nombreux scientifiques et institutions reconnus pour leur connaissances dans le domaine des exoplanètes. Michaël Gillon est surtout à l'origine de la découverte, en 2015, du système TRAPPIST-1 par le télescope TRAPPIST de l'Université de Liège et, entre autres, le télescope spatial Spitzer de ma NASA. Ce système unique est aujourd'hui une des cibles privilégiées du télescope JWST.

 

Qu’est-ce que TRAPPIST-1 ?

Michaël Gillon : TRAPPIST -1 est une étoile de très faible masse située à 40 années-lumière de notre système solaire et qui abrite un système planétaire tout à fait unique composé de sept planètes rocheuses de taille terrestre, dont au moins trois sont potentiellement habitables. Son nom typiquement belge est une référence au télescope liégeois TRAPPIST (faisant lui-même référence aux bières belges) que nous avons utilisé avec mon équipe pour découvrir le système en 2015. L’importance scientifique de ce système est majeure, car il contient les seules exoplanètes de taille terrestre potentiellement habitables pour lesquelles la détection et l’étude approfondie d’une atmosphère soient possibles, y compris la possible détection de traces chimiques de vie (biosignatures).

Les astronomes sont donc à la recherche de traces de vie sur les planètes de TRAPPIST-1 ?

Michaël Gillon : A ce stade, la question essentielle à laquelle nous voulons avant tout répondre est celle de la présence d’une atmosphère autour des planètes. Il s’agit d’un prérequis indispensable à la possible présence de vie à leur surface. Il faut savoir que les planètes TRAPPIST-1 orbitent extrêmement près de leur petite étoile, de l’ordre de 1% à 6% de la distance Terre-Soleil. De plus, les étoiles de très faible masse comme TRAPPIST-1  émettent beaucoup de rayonnements de haute énergie (rayons X, rayons UV, particules chargées).  Sous un tel bombardement constant, il est possible que les atmosphères des planètes  aient été totalement érodées, les transformant en grosses boules de roches comme Mercure ou la Lune. Mais il est aussi possible qu’elles aient réussi à garder des atmosphères importantes qui pourraient être semblables à celle de Vénus, de la Terre ou de Mars… ou bien totalement différentes.

Avec quelles méthodes les astronomes espèrent-ils  détecter une atmosphère autour des planètes TRAPPIST -1 ?

Michaël Gillon : Il faut tout d’abord un télescope spatial très puissant et opérant dans l’infrarouge, un type de lumière auquel nos yeux ne sont pas sensibles. Ce télescope existe à présent, c’est le JWST, qui est en opération depuis pratiquement un an. Nous avons désormais accès à plusieurs méthodes pour tenter de détecter ces possibles atmosphères. La première se base sur ce que l’on appelle la méthode des transits, le passage des planètes devant son étoile. Ce sont en fait ces transits qui nous ont permis de découvrir les planètes Trappist-1. Lorsqu’elles passent devant l’étoile, elles en cachent en effet une partie, si bien que l’étoile nous semble moins lumineuse et on peut en déduire l’existence de la planète.  De plus, durant un transit, une mince partie de la lumière émise par l’étoile dans notre direction est filtrée par l’atmosphère de la planète (si atmosphère il y a). Lorsque l’on sépare la lumière de l’étoile en différentes couleurs (ce que l’on appelle spectroscopie) et que l’on compare les mesures prises durant et en dehors du transit, on peut espérer détecter les traces de cette filtration et en obtenir des informations sur la composition de l’atmosphère de la planète.  Cette méthode a été ou sera prochainement appliquée à toutes les planètes TRAPPIST-1 avec le JWST, et les premiers résultats ne devraient pas tarder à être publiés.

Il existe toutefois une méthode alternative, celle qui a été utilisée dans cette nouvelle publication et qui repose sur le passage de la planète derrière l’étoile. On nomme cela une occultation. Lorsque cela se produit, la faible contribution lumineuse de la planète à la brillance du système disparait, et on peut donc la mesurer de manière négative en comparant la brillance du système mesurée durant et avant ou après l’occultation. Cela nous donne une mesure de l’émission de la planète, de son flux thermique. Le JWST est très puissant, mais les planètes TRAPPIST-1 sont beaucoup plus petites et plus froides que leur étoile, si bien que l’on ne peut espérer faire ce genre de mesures que pour les trois ou quatre planètes les plus internes, qui sont les plus chaudes car les plus irradiées par l’étoile. Et encore, on ne peut faire cela qu’à une seule longueur d’onde à la fois, sans aucune information spectroscopique.

ESA trappist

Cette image illustre comment une étoile illumine et chauffe le coté jour d’une planète en rotation synchrone, et les phénomènes du transit et de l’occultation (éclipse). Le bas de la figure montre l’évolution du flux mesuré en fonction de la phase orbitale de la planète. Lorsque la planète passe devant l’étoile, elle en cache une partie et le système nous apparait moins brillant (transit). Lorsque la planète passe derrière l’étoile, sa faible contribution à la brillance du système disparait (occultation/éclipse).  Enfin, la brillance du système est modulée en fonction de la phase de la planète. Si son côté jour est plus chaud que son coté nuit, le système nous apparaitra plus brillant à un moment proche de l’occultation qu’à un moment proche du transit Credit: ESA, CC BY-SA 3.0 IGO .

En quoi consiste ce nouveau résultat publié dans Nature ?

Michaël Gillon : Il y a quelques mois, une autre équipe a utilisé le JWST et cette méthode des occultations pour mesurer l’émission thermique de la planète la plus interne, TRAPPIST-1b, à une longueur d’onde de 15 micromètres correspondant à une forte réaction de la lumière avec la molécule de dioxyde de carbone. L’idée était la suivante : si la planète a une atmosphère dense riche en dioxyde de carbone comme Vénus, la lumière émise par la surface devrait être absorbée par le dioxyde de carbone avant d’atteindre l’espace, et la planète devrait alors nous apparaître très peu brillante à cette longueur d’onde. Or c’est le contraire qui a été observé. Cette haute brillance peut s’expliquer par une hypothèse très simple : la planète n’a pas d’atmosphère. En effet, vu qu’elle montre toujours la même face à l’étoile, si elle n’a pas d’atmosphère pour transporter la chaleur vers le coté nuit, sa face jour devrait être très chaude et très brillante à la longueur d’onde en question. C’est cette hypothèse que la NASA a décidé de mettre en avant, certains posts de la NASA mentionnant même « pas d’atmosphère pour TRAPPIST-1b ».

Dans cette nouvelle étude qui vient d’être publiée dans la revue Nature, une équipe dont je fais partie et dirigée par Sebastian Zieba du Max Planck Astronomy Institute d’Heidelberg, a utilisé le JWST pour faire une mesure identique pour TRAPPIST-1c, la deuxième planète le plus interne du système. Notre mesure montre que la planète c est à nouveau plutôt brillante à 15 microns, ce qui, si l’on en croit nos modèles, rend peu probable une atmosphère dense riche en dioxyde de carbone similaire à celle de Vénus. C’est un résultat très important, car TRAPPIST-1c est l’exoplanète de taille terrestre la plus froide sur laquelle une telle mesure de l’émission thermique a été effectuée.

Ces résultats démontrent donc que TRAPPIST-1b et c n’ont pas d’atmosphère ?

Michaël Gillon : Pas du tout ! Si l’on suppose que nos modèles théoriques sont corrects, ces mesures écartent juste des atmosphères riches en dioxyde de carbone. Mais elles pourraient posséder des atmosphères denses mais très pauvres en dioxyde de carbone. Par exemple, si ces planètes étaient à l’origine beaucoup plus riches en eau que la Terre, elles pourraient très bien avoir des atmosphère riches en eau et en oxygène. En effet, l’intense rayonnement de haute énergie qu’elles subissent pourraient briser les molécules d’eau dans la haute atmosphère. L’hydrogène étant très léger s’échapperait facilement, tandis que l’oxygène resterait. On peut aussi imaginer que sous l’intense rayonnement ultraviolet de l’étoile, une photochimie complexe pourrait être à l’œuvre dans l’atmosphère de ces planètes, les appauvrissant fortement en dioxyde de carbone et les enrichissant en molécules dites réductrices comme le méthane, le monoxyde de carbone, ou l’ammoniaque. Ou alors la brillance importante mesurée pourrait s’expliquer par la présence de dioxyde de carbone très chaud dans la haute atmosphère des planètes.

En prenant plus de recul, il me faut signaler un élément essentiel : la science est une méthode basée sur la comparaison constante entre théories et observations. En d’autres termes, nos théories, même les plus élégantes, ne valent rien au niveau scientifique sans cette comparaison avec des observations. Or, nos modèles d’atmosphère de planètes  telluriques ont été construits en se basant sur  l’observation de trois planètes seulement : Vénus, la Terre, et Mars. Ce sont en effet les seules planètes rocheuses pour lesquelles on ait accès à des données atmosphériques de qualité. Mais ces trois planètes ne sont que trois cas particuliers parmi les centaines de milliards de planètes rocheuses qu’abritent notre galaxie. Dans un environnement différent, ou avec une composition initiale différente, ou avec une évolution différente, une planète rocheuse pourrait très bien être ou avoir été le siège de processus complètement négligés par nos théories actuelles. Lorsque dans nos publications, nous écrivons « nos modèles montrent », on passe donc sous silence la possibilité – très probable- que nos modèles soient incomplets, voir totalement faux quand on les applique ainsi à des objets très différents des planètes du système solaire. L’un des objectifs majeurs de l’étude des exoplanètes est d’ailleurs de construire et d’affiner ces modèles, d’obtenir une théorie applicable à l’ensemble des planètes de l’Univers. On en est loin, surtout pour les planètes rocheuses, pour la simple raison que nous n’avons encore pratiquement aucune donnée, aucune mesure.

Pour illustrer ce point, je vais prendre l’exemple de 51 Pegasi b, la  première exoplanète détectée en 1995 Par Michel Mayor et Didier Queloz. Certains à l’époque ne voulait pas croire à son existence car il s’agissait d’une planète géante sur une orbite extrêmement courte, chose non prévue par les théories de formation planétaire de l’époque. La détection de beaucoup d’autres de ces Jupiters chaudes et la confirmation de leurs nature planétaire ont montré que ces théories étaient incomplètes. Elles ont été fortement affinées depuis, et notre compréhension des mécanismes de formation planétaire a fait un bon de géant.

Donc, si je devais résumer …il nous faut plus d’observation avant de pouvoir faire la moindre conclusion !

De quel type d’observation avez-vous justement besoin ?

Michaël Gillon : Nous pourrions imaginer reproduire les observations publiées pour TRAPPIST-1b et c dans beaucoup d’autres longueurs d’onde. De telles données spectroscopiques pourraient conduire à la détection des signes indubitables d’une atmosphère. Par exemple, le mois prochain le JWST va à nouveau observer TRAPPIST-1b mais cette fois à 12.8 microns au lieu de 15 microns. Si la brillance de la planète à 12.8 microns se révèle être beaucoup plus basse qu’à 15 microns, il sera bien difficile d’expliquer les observations sans la présence d’une atmosphère. Au contraire, si l’on accumule des mesures dans un grand nombre de longueurs d’ondes et qu’elles correspondent toutes à ce qu’on attend pour une planète dépourvue d’atmosphère, alors il faudra accepter ce que nous disent les observations et se concentrer sur les cinq planètes les plus externes du système.

Il existe néanmoins une méthode plus simple et efficace pour confirmer ou rejeter la présence d’une atmosphère autour des planètes b et c. Comme je l’ai dit, ces planètes sont en rotation synchrone par rapport à leur étoile, comme la Lune par rapport à la Terre, c’est-à-dire qu’elles montrent toujours la même face à l’étoile. Quand on utilise la méthode des occultations, on mesure la brillance de la face jour de la planète, celle qui est tournée vers l’étoile. Mais si l’on observe la brillance du système durant une orbite complète de la planète autour de l’étoile avec le JWST, ce que l’on appelle une courbe de phase, on peut espérer détecter une modulation qui va nous renseigner sur  la variation en longitude de  l’émission thermique de la planète, et notamment nous dire à quel point la face nuit est plus froide que la face jour. C’est une information cruciale, car si une planète en rotation synchrone a une atmosphère assez dense, celle-ci va transporter efficacement la chaleur du coté jour vers le coté nuit, et ce quelle que soit sa composition. Sans atmosphère, ce n’est pas le cas. Prenons l’exemple de Mercure, dépourvue d’atmosphère. Sur sa face jour, la température peut monter à plus de 400° Celsius, tandis qu’elle peut descendre à moins 180° sur sa face nuit ! Sur ce principe, nous avons, avec des collègues, proposé à la NASA l’observation de la courbe de phase des planètes b et c avec le JWST. Cette observation a été acceptée, et les observations devraient être effectuées en novembre. Une fois analysées, elles devraient nous permettre de déterminer une bonne fois pour toutes si ces deux planètes ont une atmosphère ou non. 

Une réponse est donc proche ?

Michaël Gillon :  Pour les planètes b et c, oui, avec les observations prévues en juillet et novembre prochains. Pour les cinq autres planètes, cela va demander plus de temps et beaucoup plus d’observations. Le mieux à ce stade, je pense, est d’attendre les résultats pour b et c avant d’intensifier les observations des cinq autres planètes. En effet, si l’on peut démontrer que b et/ou c ont une atmosphère, alors il sera bien plus probable à priori que les autres planètes, plus externes et moins bombardées de rayonnement de haute énergie de l’étoile, ont aussi réussi à garder une atmosphère. Cela nous mettra dans une excellente position pour convaincre la NASA de mettre en place un programme JWST très ambitieux pour détecter ces atmosphères et y chercher de possibles traces de vie. Un tel programme pourrait aussi voir le jour si b et c se révèlent être des planètes sans atmosphère, mais ce serait bien plus difficile. En effet, la pression sur le JWST est énorme et TRAPPIST-1 est loin d’être sa seule cible…

 

Références scientifiques

  • No thick carbon dioxide atmosphere on the rocky exoplanet TRAPPIST-1c, Sebastian Zieba et al. 2023, Nature. Lien vers la publication.
  • Thermal emission from the Earth-sized exoplanet TRAPPIST-1b using JWST, Thomas P. Greene et al. 2023, Nature, 618, 39-42, https://doi.org/10.1038/s41586-023-05951-7

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