Une publication dans Nature

La piste de l'ammoniac mène aux exoplanètes



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Avec l'aide du télescope spatial James Webb, une équipe de chercheurs dirigée par le Centro de Astrobiología (CAB-CSIC-INTA), le Max-Planck-Institut für Astronomie et l'ETH Zurich - et dont font partie des scientifiques de l’Université de Liège - a réussi à mesurer les isotopes de l'ammoniac dans l'atmosphère de WISE J1828, une naine brune froide située à 32,5 années-lumière de notre Terre. Cette étude, publiée dans la revue Nature démontre que l'abondance isotopique de l'ammoniac peut être utilisée pour étudier la formation des planètes gazeuses géantes.

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ls révèlent l'origine du vin, l'âge des os et des fossiles, et servent d'outils de diagnostic en médecine, ce sont les isotopes. Ces derniers, ainsi que les isotopologues - des molécules qui ne diffèrent que par la composition de leurs isotopes - jouent aussi un rôle de plus en plus important en astronomie. Par exemple, le rapport entre les isotopes du carbone 12 (12C) et du carbone 13 (13C) dans l'atmosphère d'une exoplanète peut être utilisé pour déduire la distance à laquelle l'exoplanète s'est formée autour de son étoile centrale.

Jusqu'à présent, 12C et 13C, liés au monoxyde de carbone (CO), étaient les seuls isotopologues mesurables dans l'atmosphère des exoplanètes. Une équipe de chercheurs du consortium européen MIRI - dont fait partie Olivier Absil, Maître de recherches FNRS  et directeur du service PSILab de l’unité de recherche STAR de l'ULiège - a réussi à détecter  pour la première fois des isotopologues de l'ammoniac (NH3) - mesurés sous la forme de 14NH3 et 15NH3 - dans l'atmosphère d'une naine brune froide.

À la recherche d'ammoniac

« Les naines brunes sont des corps célestes qui se situent à la frontière entre les étoiles et les planètes,  explique David Barrado, astrophysicien au CAB-CSIC-INTA et premier auteur de l’étude. À bien des égards, elles ressemblent à des planètes gazeuses géantes, c'est pourquoi elles peuvent être utilisées comme système modèle pour l'étude des géantes gazeuses. »

Dans ce cas précis, le groupe de recherche a observé la naine brune WISE J1828 qui se situe à 32,5 années-lumière de la Terre dans la constellation de la Lyre. Ayant une température effective de seulement 100°C, WISE J1828 n'est pas visible à l'œil nu car elle est beaucoup trop froide pour que la fusion de l'hydrogène ait lieu et transmette la lumière visible jusqu'à la Terre. Les chercheurs ont donc du recourir au JWST pour pouvoir l’observer. Avec l’aide de l’instrument MIRI (Mid-InfraRed Instrument, testé au Centre Spatial de Liège) embarqué à bord du JWST, l’équipe de recherche a pu détecter des isotopologues de l’amoniac à l'aide du capteur infrarouge. Dans la gamme de longueurs d'onde comprise entre 4,9 et 27,9 μm, le spectromètre à moyenne résolution (MRS) de MIRI a enregistré un spectre de la naine brune dans l'infrarouge moyen. En plus de l'ammoniac, des molécules d'eau et de méthane ont été observées dans l'atmosphère de WISE J1828, chacune avec des bandes d'absorption caractéristiques.

« Nous avons contribué à la détermination de la structure physique et la composition chimique de l’atmosphère de WISE J1828, explique Olivier Absil. C’est le coeur du sujet de thèse de Malavika Vasist, doctorante au PSILab, qui développe un outil spécifique basé sur des techniques d’apprentissage profond (deep learning) pour extraire les paramètres atmosphériques d’exoplanètes et naines brunes à partir des spectres infrarouges obtenus par le JWST. »

Un nouvel outil de diagnostic pour la formation des exoplanètes

Le rapport entre les deux isotopologues de l'ammoniac mesuré dans l'atmosphère de WISE J1828 est particulièrement intéressant : le rapport  14NH3 / 15NH3 est un traceur, c'est-à-dire un indicateur qui pourra être utilisé à l'avenir pour étudier la formation des naines brunes et des planètes. Il s'agit d'un nouvel outil qui permettra de tester différents mécanismes connus de formation des géantes gazeuses.

Les géantes gazeuses comme Jupiter ou Saturne n'existent pas seulement dans notre système solaire. Ces corps célestes gigantesques jouent également un rôle important parmi les exoplanètes : ils se forment très tôt au cours de la formation des étoiles et pourraient donc être un facteur décisif pour déterminer si et comment les planètes plus petites et plus légères d'un système solaire se développent.

Mais comment se forment les géantes gazeuses ? Jusqu'à présent, aucune réponse claire n'a été apportée à cette question. Les experts ont élaboré différentes théories, mais la question de savoir si les planètes gazeuses se forment par accrétion du noyau - comme la plupart des autres planètes - ou à la suite d'un effondrement gravitationnel dans le disque protoplanétaire autour d'une étoile progénitrice, n'était pas claire jusqu'à présent.

Le rapport isotopologique fournit désormais des informations à ce sujet. Alors que sur Terre, il y a 272 atomes de 14N (azote) pour chaque atome de 15N, les scientifiques impliqués dans l'étude ont calculé que le rapport 14NH3 à 15NH3 mesuré dans l'atmosphère de WISE J1828 est d'environ 670.  Cela signifie que la naine brune a accumulé moins de 15N au cours de sa formation que la Terre. L'abondance de 15N est même inférieure à celle de tous les corps célestes de notre système solaire.

Amonia Wise 1828 ©Polychronis Patapis NASA:ESA:JPL

Spectre de WISE1828 mesuré par l'instrument MIRI à bord du JWST. Les caractéristiques correspondent à des absorptions moléculaires principalement par l'eau, le méthane ou l'ammoniac, alors qu'aucune indication de nuages dans sa photosphère n'a été trouvée. La région zoomée du spectre montre un exemple de caractéristique d'absorption 15NH3 individuelle qui est identifiée avec la résolution du spectromètre MIRI. Crédits : Polychronis Patapis, NASA/ESA/JPL

 

Différents scénarios de formation des planètes

Les processus de fractionnement isotopique, c'est-à-dire la modification de l'abondance des isotopes, ne sont pas encore totalement compris, mais on suppose que les impacts de comètes contribuent à l'enrichissement de 15N (azote), étant donné que les comètes ont une teneur en 15N deux à trois fois plus élevée. Les impacts de comètes, à leur tour, sont considérés comme un élément fondamental de la construction des planètes dans notre système solaire. Les fragments de comète, par exemple, permettent aux planètes légères, semblables à la Terre, de conserver une atmosphère au cours de leur phase de développement précoce, lorsqu'elles s'échauffent et dégazent.

Une faible teneur en15NH3 dans le spectre de WISE J1828 suggère donc que la naine brune ne s'est pas formée comme une planète - à savoir par accrétion du noyau - mais que sa formation s'est plutôt déroulée comme une étoile, dans le contexte d'un effondrement gravitationnel. Or, une formation de type stellaire est le type de formation attendu pour les naines brunes. Cela pourrait donc indiquer que le rapport 14N/15N est un indicateur significatif de l'histoire de la formation.

Les instabilités gravitationnelles peuvent jouer un rôle important dans la formation des géantes gazeuses, en particulier celles qui gravitent autour de leur étoile sur une grande orbite. Un autre résultat de l'article est lié à cela : le rapport 14N/15N dépend de la distance d'une géante gazeuse à son étoile centrale, il augmente fortement entre la ligne dite de glace d'ammoniac et la ligne de glace d'azote moléculaire. « À cet égard, l'ammoniac et la fréquence de ses isotopologues peuvent non seulement fournir des informations sur la manière dont une exoplanète s'est développée, mais aussi sur l'endroit du disque protoplanétaire où elle s'est formée, conclu Paul Mollière (MPIA Heidelberg), co-premier auteur du papier. »

Grâce à l'ammoniac, les astronomes disposeront d'un outil supplémentaire pour étudier les exoplanètes directement observables. Un outil qui n'est devenu tangible que grâce au JWST, ce qui souligne une fois de plus la valeur et les performances du télescope spatial.

Références scientifiques

  • Barrado, D., Mollière, P., Patapis, P. et al., 15NH3 in the atmosphere of a cool brown dwarf, Nature, 2023. DOI:10.1038/s41586-023-06813-y
  • Zhang, Y. et al. The 13CO-rich atmosphere of a young accreting super-Jupiter, Nature, 2021. DOI: 10.1038/s41586-021-03616-x
  • Wright, G. et al. Mid-infrared Instrument for JWST and its In-Flight Performance, Publications of the Astronomical Society of the Pacific, Volume 135, Issue 1046, id.048003, 20 p., DOI : 10.1088/1538-3873/acbe66

Vos contacts à l'ULiège

Olivier Absil

Malavika VASIST

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